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| LA LEGENDE DE MARTIN-MARTINE DE CAMBRAI | |
| | Auteur | Message |
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De_Vlaamse Admin
| Sujet: LA LEGENDE DE MARTIN-MARTINE DE CAMBRAI Lun 18 Mai - 18:25 | |
| On peut voir, à l'horloge de l'hôtel de ville de Cambrai, deux jacquemarts sonnant les heures, autrement dit, deux automates qui frappent avec un marteau sur une cloche pour indiquer les heures. On les appelle Martin et Martine et ils ont les traits de deux anciens Maures. Voici quelle est la légende, qui se rattache à leur origine. Au début de Vé siècle, les Wisigoths, venant du nord, envahirent la Gaule et, sous les ordres d'Ataulf, descendirent jusque dans le sud, repoussant en Afrique les Vandales. Au Vl siécle, ces Wisigoths furent, à leur tour, refoulés en Espagne par ; les Francs et s'y installèrent; mais, au bout de trois siècles, leur roi Witiza, dans la crainte de se voir supplanté par Rodrigue, appela à son aide les Musulmans qu'on nommait à cette époque; les morisques. ils répondirent à l'appel du roi Wisigoth; leur calife Tarik vainquit Rodrigue, mais, au lieu de rentrer chez eux, ils s'établirent en Espagne, jusqu'au jour ou le roi Philippe III les en chassa définitivement. Les quelque trois cent mille Morisques qui séjournaient encore en Espagne regagnèrent alors en majorité leur patrie, d'autres vinrent se réfugier en France, remontant jusque dans le nord, ou certains étaient déja venus à la suite de Charles-Quint, accouru précipitamment d'Espagne pour mater une révolte des Brugeois. Hakem était un de ces Morisques, qui avait suivi, tout jeune, en qualité de page, les armées de Charles-Quint et, la guerre finie, il avait fixé son séjour à Cambrai, suivant l'exemple de plusieurs de ses compatriotes qui stationnaient également dans le région, attendant d'avoir pu amasser l'argent nécessaire à leur voyage de retour. Hakem gagnait bien sa vie, car il était d'une habileté remarquable pour tresser le jonc et la paille, afin d'en faire des paniers et des corbeilles. il était également expert dans l'art de broder le cuir avec des fils d'or et d'argent: travail fort apprécié par son originalité, et maints seigneurs lui apportaient leurs selles afin qu'il pût les enrichir de cette façon. Enfin, Hakem connaissait le secret des aciers de Tolède et se rendait fort utile par toutes ses connaissances aux différents artisants de la ville. Naturellement Hakem était profondément musulman et, bien que se trouvant dans un pays infidèles, il n'omettait aucun des préceptes rigides de Coran: se prosternant vers La Mecque à l'heure de la prière, observant les jours de jeûne, ne buvant ni vin, ni alcool. ce culte et les rites bizarres qui l'accompagnaient ne manquaient pas cependant de le faire considérer avec une certaine crainte par les habitants qui, à cette époque, étaient fort timotés sur ces questions. A morts couverts on disait qu'il était sorcier; certains allaient même jusqu'a affirmer qu'ils avaient vu le diable apparaître chez lui; qu'il fabriquait des philtres, jetait des sorts... Bref, on l'évitait le plus possible et nombreux étaient ceux qui se signaient lorsqu’ils l’apercevaient. Hakem, cependant, était un être bien inoffensif. Tout au contraire, il était extrêmement bon et charitable; mais cette fierté innée de sa race, cette allure hautaine, dont il ne se rendait pas même compte finissaient par énerver les gens, qui commençaient à souhaiter sont départ. Hakem demeurait dans une petite échoppe de la rue Cantimpré, à deux pas de l'Escaut, et il soupirait devant le ciel gris des Flandres, ses brouillards, sa bise froide, en pensant à son Espagne ensoleillée, dont le ciel était éclatant et les fleurs merveilleuses. A deux pas de chez lui, demeurait un tanneur du nom de Coosemans, dont le plus grande richesse consistait en une fille d'une étonnante beauté, répondant au nom de Martine. Son bon cœur s'était pris d'affection pour le Morisque, dont elle comprenait la nostalgie dans ce pays se différent du sien, au milieu de l'hostilité presque générale. Martine se rendait souvent chez Hakem, aimait à le voir travailler et s'émerveillant des jolies choses qu'il fabriquait. Pendant ce temps, le Maure parlait à la jeune Fille des beautés de son pays. En outre, Hakem, qui n'avait jusqu'alors entrevu la beauté que dans les filles de sa race aux cheveux et aux yeux noirs, au taint brun, des bords du Guadalquivir, n'avait pas tardé à admirer les blonds cheveux de lin et les yeux de pervenche de la jolie Flamande. De son côté, Martine avait été attirée par le taint d'ocre chaud, les yeux de braise et les dents éclatantes de l'Africain. Si bien qu'un jour, sans se l'être encore avoué et tout naturellement, ils s'aperçurent qu'ils étaient amoureux l'un de l'autre. A partir de ce moment, une sorte de gêne s'établit entre eux, car aucun n'osait avouer à l'autre les sentiments qu'il ressentait. Enfin, un jour Hakem se décida a parler: | |
| | | De_Vlaamse Admin
| Sujet: Re: LA LEGENDE DE MARTIN-MARTINE DE CAMBRAI Lun 18 Mai - 18:25 | |
| Martine, lui dit-il, tu as sans doute deviné à quel point tu m'étais chère et, bien que je sois d'une race différente de la tienne, mon cœur bat comme celui de tous les autres hommes. Tu me rendrais le plus heureux du monde si tu consentais à devenir ma femme. Hakem, je t'aime beaucoup moi aussi, sans te l'avoir encore jamais dit, et j'accepterais avec une grande joie de t'épouser. Hélas! tu sais qu'en dehors de ton physique et de tes coutumes il est autre choses et beaucoup plus grave a mes yeux qui nous séparer à jamais...
Qu'est-ce donc ?
Tu es musulman et jamais on ne nous permettra de nous marier ensemble. Ce serais un tel scandale que notre vie en deviendrait impossible.. Je serais excommuniée, et tout le monde, même ma famille, me renierait. il faudrait de Cambrai.
Et après ? Nous irions tous deux en Espagne. Tu verras comme elle est belle. Tu ne peux pas te l'imaginer.
Non, Hakem, non. Mon père est vieux et ce serait pour lui un coup trop dur. Je ne peux lui causer ce chagrin, ni l'abandonner... Mais pourquoi ne deviendrais-tu pas chrétien comme moi ?
Moi ! Tu voudrais de moi comme renégat, s'exclama Hakem avec douleur. Malgré tout l'amour que j'éprouve pour toi, Martine, ce que tu me demandes la est impossible. Je préférerais mourir que de renier la religion de mes pères. D'ailleurs, n'est-elle pas aussi bonne que la tienne ? Ne recommande-t-elle pas elle aussi de s'aimer les uns les autres, de vivre dans la paix et le bonheur ? Sans doute, Hakem.... Mais, réfléchis bien... j'ai bien réfléchi, Martine, et, quel que soit le mal que je te cause, ne me demande plus jamais une telle chose... Je hais ton Dieu, car, c'est à cause de lui que les tiens ont massacré tant des notres... Crois-moi... Fuyons en Espagne: N'aimerais-tu point connaître ces merveilleuses cités dont je t'ai si souvent parlé: Grenade, Cordoue, Séville... avec leurs patios tapissés de ces faien ces qu'on nomme des azulejos et qui reflètent le ciel limpide et bleue de l'Andalousie ? Partout, le soleil coule à flots, mettant la joie au cœur et le bonheur de vivre dans les yeux... Ah! ce n'est pas comme ici... Et puis, nous franchirons la mer pour gagner l'Afrique un pays ou tout est en or, depuis son sable chaud jusqu'aux resplendissantes coupoles de ses mosquées et de ses minarets qui sont nos églises à nous... Tu verras, Matine, quel les incomparables richesses je te montrerai... Non, Hakem. Tout cela ne me tante pas et ne m'intéressera que le jour ou tu consentiras à te faire chrétien. Alors, ce jour-là, je serais prête à te suivre partout. Tu pourras faire de moi ton esclave. Tu vois à quel point je T'aime... Les jours passèrent, mais, en dépit des supplications et des pleurs de Martine, Hakem, le coeur ulcéré de voir chagrin qu'il lui causait, demeurait inflexible. Sur ces entrefaites, des voisins jaloux, et qui haïssaient le Morisque, complotèrent pour obtenir qu'il fût enfin chassés de la ville, ou sa présence les importunait. Ils se rendirent auprès du prévôt et déclarèrent qu'il fallait en finir avec ces mécréants de païens. Ils alléguèrent qu'ils volaient les petits enfants et incitaient la population catholique à devenir hérétique. Le résultat de telles calomnies ne se fit pas attendre. Quelques jours plus tard, un édit fut proclamé enjoignant a tous les musulmans d'avoir à quitter la ville dans le plus bref délai et de se considérer comme proscrits. Le chagrin de Martine fut très grand, quand elle apprit qu'elle allait être à jamais séparée de Hakem; mais ce fut en vain qu’une fois de plus elle intercéda auprès de lui pour qu'il consentît à changer de religion, afin de n'être plus pourchasse. Or Martine était aimée de messire van Richter, premier juge du Saint-Office qui, à plusieurs reprises déjà, lui avait fait part du désir qu'il éprouverait si elle acceptait de devenir sa femme. Van Richter était un homme puissant et fortuné, et sa situation lui conférait une influence considérable; mais il était d'abord beaucoup plus âgé que Martine et celle-ci lui fit très aimablement comprendre qu’elle ne l’épouserait jamais. Van Ritchter se fût peut-être consolé de sa désillusion, s’il n’avait appris que Martine en aimait un autre et que c’était précisément un de ces Morisques abhorrés. Il rechercha le moyen soit de se venger d’eux, soit de sa débarrasser de Maure. Un matin qu’il venait d’arriver à l’hôtel de ville, il trouva dans son bureau de vielle Ulrique, une horrible sorcière qui vivait de revenus plus ou moins avouables dans un quartier sordide de la ville. Sous ses apparences de mendicité. Ulrique servait surtout d’espionne aux magistrats : leur rendant compte des mécontentements, des auteurs de troubles, dénonçant non seulement certains coupables que le prévôt recherchait, mais profitant de cette situation pour se venger abominablement de ceux qui avaient encouru sa haine. Nul ne se méfiait d’elle cependant, et nombre de ceux qu’elle fit ainsi emprisonner ou livrer au bourreau ne connurent ni ne soupçonnèrent jamais celle qui les avait livrés. Messire, dit-elle avec un hideux sourire de sa bouche édentée, j’ai une importante nouvelle à vous annoncer. Parler, dit van Richter, non sans dissimuler le dégoût que cette présence odieuse lui causait toujours. J’ai appris que ce mécréant de Morisque… | |
| | | De_Vlaamse Admin
| Sujet: Re: LA LEGENDE DE MARTIN-MARTINE DE CAMBRAI Lun 18 Mai - 18:25 | |
| Hakem ! s’écria van Ritcher subitement intéressé.
Lui-même…Cette âme damnée, ce suppôt de Satan.
Vient de s’enfuir de la ville, cette nuit. Tant mieux ! Au moins nous serons débarrassés de son insupportable présence et cela nous évitera de l’y contraindre. Oui, oui, sans doute, reprit la vieille en plissant les paupières… Mais il ne s’est pas enfui tout seul…
Que veux-tu dire ? cria Ritchter en bondissant de son fauteuil… Qui ?
Calmez-vous, messire… Si je n’étais venu vous l’apprendre, vous ne sauriez encore rien… Eh bien ! Ce Hakem à quitté Cambrai en emmenant avec lui la belle Martine Coosemans…
C’est faux ! Rugit le magistrat en devenant apoplectique sous l’effet de sa rage. Il est d’en avoir la preuve… Envoyez quelqu’un chez elle et vous aurez confirmation…Je sais ce que je dis.
Comment l’as-tu su ?
Oh ! Facilement. J’ai surpris hier le Maure qui préparait ses paquets et j’ai remarqué que, dans l’un d’eux, se trouvaient des vêtements de femme. Cela m’a naturellement intriguée, d’autant. Mieux qu’avec ces gens-là on doit s’attendre à tout… Alors, je me suis cachée et un peu plus tard j’ai aperçu Martine qui entrait chez lui. Quand elle est ressortie, je l’ai entendue qui disait : Soit. Alors je te retrouverai ce soir au bord de l’Escaut, sur la route de Saint-Quentin….
Van Ritchter frappa violemment du poing sa table de travail :
Misérable ! Pourquoi ne m’avoir pas prévenu plus tôt… A cette heure maintenant, ils sont déjà loin … Tu mériterais…. Ne soyez pas injuste, messire… D’abord, ils n’ont pas tellement d’avance qu’on ne puisse les rattraper. Ensuite, je vous ai cherché en vain et l’on ma répondu que vous étiez allé à Bouchain…
C’est bon ! Il n’y a pas le temps à perdre, rugit Richter en se précipitant au dehors …
Quelques instants plus tard, à la tête d’une douzaine de gens d’armes à cheval, van Richter franchissait la porte de Cambrai et s’élançait au galop dans la direction de Saint-Quentin. En effet, comme l’avait dit la sorcière, Hakem et Martine avaient décidé de fuir les deux. Ne pouvant se résoudre à vivre l’un sans d’autre, et Martine, désespérant d’obtenir le conversion du Maure, avait accepté de le suivre dans son exode en lui rappelant cependant que, pour rien au monde, elle non plus n’abdiquerait sa foi. Hakem lui avait solennellement promis de n’y jamais faire la moindre allusion et ils avaient profité de la nuit pour mettre leur projet à exécution. Tout s’était déroulé selon le plan prévu et sans le moindre incident. Martine avait retrouvé Hakem à l’endroit convenu ou il l’attendait avec deux mules toutes harnachées, et, dès qu’ils furent réunis, ils se mirent en route dans la nuit. L’intention de Hakem était de traverser la France et de gagner l’Espagne. Ils étaient fort loin de songer que déjà leur fugue était connue et pensaient, au contraire, avant qu’on eût découvert leur départ qu’ils auraient mis entre eux et cambrai une distance suffisamment grande pour les préserver de toute représailles. A l’heure ou l’horrible Ulrique les dénonçait, Hakem et Martine venaient de traverser Ham, se dirigeant vers Noyon, et se croyant en parfaite sécurité. Van Richter et ses soldats arrivèrent à Saint-Quentin dans la matinée. Ils n’eurent aucun mal à savoir le chemin que les fugitifs avaient pris quelques heures plus tôt, car Hakem, avec son turban et son teint basané, n’était pas précisément personnage à passer inaperçu, d’autant mieux que la présence de la jolie Martine à ses côtes suscitait la curiosité des habitants sur leur passage. Si bien que le Maure et sa compagne arrivaient en vue de Guiscard, quand le bruit d’une galopade retentit dans leur dos. Ils se rangèrent sur le bas-côté de la route, pensant qu’il s’agissait de quelque seigneur retour de chasse, mais soudain ils se trouvèrent entourés d’hommes d’armes. Martine poussa un cri de terreur en reconnaissant van Ritcher. Elle comprit, au sourire cruel qui illuminait le visage du juge, qu’ils étaient perdus. Ah ! C’est ainsi que tu enlèves les femmes de nos villes s’écria le magistrat en s’adressant au Maure impassible que la fatalité semblait accabler…C’est faux, intervint courageusement Martine. Il ne m’a pas enlevée. C’est moi qui, de mon plein gré, lui ai demandé de m’emmener avec lui. Ouais ! Il t’a ensorcelée… Nous savons de quoi tous ces démons sont capables… Mais il ne nuira plus désormais… Grâce ! Grâce !gémit Martine en se jetant aux pieds de son ennemi…
Le Tribunal en décidera… Pendant ce colloque, les gens d’armes avaient enchaîné Hakem, qui continuait à accepter sont sort avec cette incomparable sérénité devant le Destin qui caractérise sa race. Tuez-moi ! supplia Martine… Mais ne l’emmenez pas… Il est innocent. Je vous le jure… Vous êtes des bourreaux… Et comme elle se jetait sur les soldats pour essayer, la malheureuse, de délivrer son fiancé, van Ritcher ordonna qu’elle soit également enchaînée. Les ayant attachés côte à côte, ils s’en revinrent à Cambrai en remorquant leurs captures. Tout le long de la route, les gens affluaient pour regarder le cortège et, voyant qu’il s’agissait d’un Maure et d’une Flamande, les couvraient d’injures et d’immondices, les traitant de renégats, d’hérétiques, de démons. On leur crachait au visage. Les gamins leur jetaient des pierres, tandis que l’escorte riait et laissait faire, estimant que ces deux païens n’avaient que ce qu’ils méritaient. Arrivés à Cambrai, ce fut pis encore et, sans une troupe d’archers accourus prêter main-forte, la populace se fût emparée des deux jeunes gens et leur eût fait un mauvais parti, tant les esprits étaient montés contre eux. Il faut dire qu’entre temps Ulrique avait travaillé dans ce but, colportant partout que Hakem avait obligé Martine à se faire musulmane, inventant une foule de calomnies et allant jusqu'à dire qu’ils avaient ostensiblement craché dans le cathédrale pour prouver leur haine de Dieu. Sous les cris hostiles, ils furent conduits à la prison et le tribunal siégea sur-le-champ pour statuer sur leur cas. On décida de les mettre au supplice pour leur faire avouer leurs erreurs. Mais, en dépit des tourments qu’ils endurèrent, Harem, qui ne poussa pas une plainte, conservant toujours son visage impavide, jura qu’il n’avait jamais détourné Martine de ses devoirs. Quant à celle-ci, elle donna toutes les preuves exigées qu’elle n’était point une renégate, si bien que l’un des abbés qui siégeaient se sentit ému par la sincérité de la jeune fille et intercéda en sa faveur. De sont côté, van Ritcher éprouvait de grands remords de voir ainsi maltraiter celle qu’il aimait toujours et il donna l’ordre qu’on les reconduisît en prison en attendant que leur peine soit décidée. Le tribunal se réunit à nouveau et il fut résolu que, puisque Hakem et Martine avaient voulu unir leurs destinées, ils continueraient à vivre côte à côte jusqu’à leur mort, et on leur infligea un infâme et effroyable châtiment. Enchaînés auprès l’un de l’autre, mais de telle façon qu’ils ne pouvaient se toucher, ils furent condamnés à être perpétuellement enfermés dans la tour de l’horloge de l’hôtel de ville, sous la surveillance permanente d’un gardien. Lorsque l’heure sonnait au beffroi, ils devaient, armés chacun d’un lourd marteau, paraître tous deux sur une espèce d’encorbellement au-dessus de la place et frapper sur une cloche le nombre de coups correspondants. C’était un supplice pire que l’emprisonnement. De nuit comme de jour, sans s’inquiéter de leur fatigue, les empêchant ainsi de dormir plus d’une heure à la fois, le gardien les contraignait à coups de fouet à se lever et à prendre le lourd marteau que Martine pouvait à peine soulever, pour aller sonner l’heure. Le jour, une multitude se pressait sur la place pour les voir, attendant avec impatience le moment ou ils allaient paraître, les accablant de lazzis. D’autre part, le bourdonnement incessant et monotone de la cloche qui, longtemps après qu’ils avaient sonné, se répercutait encore dans leur cellule, emplissait tout leur cerveau d’une atroce obsession. Hakem se désespérait d’avoir été la cause de toutes les souffrances de Martine. Sa rage et sa douleur étaient telles de la ainsi près de lui, sans pouvoir venir à son secours sans même pourvoir lui aider à lever ce pesant marteau qui la ployait en deux et qu’elle avait peine à manier, qu’il essayait de briser ses chaînes, se meurtrissant les chars. Quand le gardien frappait brutalement Martine de son fouet, estimant qu’elle ne tapait assez fort, Hakem grinçait des dents comme un fauve et eût mordu l’homme s’il s’était à sa portée. Hakem ! murmurait Martine… Concertis-toi, je t’en supplie Que ce supplice finisse…. Jamais Martine. Je serais maudit pour l’éternité et je souffrirais plus encore qu’en ce moment… J’errerais sur terre jusqu'à la consommation du monde comme un chien pestiféré condamné lité encore que notre bourreau…
Fait-le pour moi…
Pourquoi donc veux-tu que je me convertisse à ton Dieu, qui n’est pas capable de faire cesser notre injuste supplice. S’il est supérieur au mien, qu’il le prouve, et alors je te donne ma parole que je reconnaîtrai sa puissance sur-le-champ et qu’il n’aura jamais de plus dévoué serviteur que moi.
Pour mieux témoigner du crime dont on les avait accusés, Martine avait été, elle aussi, habillé en mauresque, et ce honteux travesti l’affligeait. Elle acceptait d’être condamnée pour s’être enfuie avec un infidèle avec un infidèle, mais elle était au désespoir qu’on pût croire qu’elle avait renié sa religion. De temps à autre, cependant, l’abbé, qui avait eu pitié d’eux lors du jugement, venait les voir et à forces d’entendre les pieuses plaintes de Martine, de considérer la fierté impassible de Hakem dont il admirait la foi robuste, il essaya de leur venir en aide. Un jour, il se présenta devant le Saint-Office et déclara qu’il était injuste qu’on ne laissât pas aux condamnés une chance d’obtenir leur grâce. Il conseilla de s’adresser à Dieu pour trancher la question. Seul, un miracle pouvait être envisagé : Laissons le Seigneur seul juge de ce cas auquel il est le premier intéressé. Je suis d’avis que nous remettions ces malheureux en liberté, si deux autres Maures se présentant, leur ressemblant en tous points, et acceptent éternellement de les remplacer pour sonner les heures de l’horloge…. Tout le monde opina pour cette solution, qui délivrait les consciences d’un certain remords et laissait Dieu seul maître de réaliser ce qui ne pouvait survenir que d’un réel miracle. Hakem et Martine continuaient toujours à battre leurs heures, se demandant quand donc la folie les délivrerait de leur cauchemar. Mais, pendant ce temps, le bon abbé se mettait au travail. Il était fort habile en mécanique et, priant Dieu de l’assister dans ce charitable projet, il se mit à confectionner deux grands automates : deux jacquemarts ressemblant en tous points à Hakem et a Martine, armés chacun d’un marteau et qui, par un dispositif d’horlogerie, s’avançaient comme eux au moment voulu pour taper sur la cloche. En grand mystère, il les installa dans la tour de l’hôtel de ville et, le cœur battant, attendit le moment décisif, Hakem et Martine, qu’il avait mise au courant, faisaient tous deux des vœux pour la réussite de l’expérience, qui allait enfin consacrer leur liberté… Il était deux heures du matin. Les deux corps venaient à peine de sonner à la cathédrale, quand il se produisit dans l’horloge une sorte de déclenchement. Un gros bourdonnement de rouages et de ressorts résonna et l’on vit les deux automates, levant leurs marteaux, se diriger par l’ouverture avec un ensemble parfait, se tourner vers la cloche et abaisser par deux fois leurs marteaux, puis regagner leur cellule.. Martine pleurait de bonheur dans les bras de leur sauveur. Alors, hakem dit : Je n’ai qu’une promesse. A partir de cet instant, j’adore comme mon seul Dieu le Dieu de Martine… Je suis prêt à être baptisé, monsieur l’abbé…Je veux être la serviteur de celui qui fait de si grands miracles… Dès les premières heures de l’aube, la nouvelle de l’incroyable événement se répandit comme une traînée de poudre dans toute la ville. Tout Cambrai se trouva bientôt réuni sur la place et, quand les automates parurent, il n’y eut qu’un cri : Miracle ! Alléluia !
Le jour même, au milieu d’une affluence considérable, hurlant cette fois, de joie et d’allégresse, eut lieu le baptême solennel de Hakem, auquel on donna le nom de chrétien de Martin. Cette cérémonie fut immédiatement suivie du mariage de Martin et de Martine, qui furent nommés, par acclamations, citoyens d’honneur de la ville. Quant à van Richter, qui n’était pas au fond un si mauvais homme qu’il en avait l’air, et que, depuis l’arrestation des jeunes gens, le remords tenaillait, il demanda sincèrement pardon. Comme il était célibataire, il adopta Hakem et dota richement le jeune ménage. Et, depuis lors, Martin et Martine continuent toujours à sonner les heures à l’hôtel de ville de Cambrai. | |
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| Sujet: Re: LA LEGENDE DE MARTIN-MARTINE DE CAMBRAI | |
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